samedi 26 mars 2016

Les crabes et la guagua de los trabajadores

Je suis à Cuba (à Cienfuegos) avec quasiment pas d’internet, pas de scanner et aucun moyen de poster des dessins (que je n’ai de toutes façons pas faits) ; j’essaie donc un post écrit.

J’avais arrêté la pêche depuis un moment et n’avais aucune intention – avouée – de m’y remettre, mais avant de partir j’ai fait l’erreur de passer saluer mon ancien maître dans son magasin.

- Cuba ? Un super spot pour le barracuda.
- Ah bon ?
- Et Cienfuegos c’est le top, tu peux les cartonner au leurre de surface, dans les mangroves.
- Ah bon ?

Je suis reparti avec une canne et 5 kilos de leurres de surface.

Il s’agit maintenant de les essayer. Chloé – ma copine – est rentrée quelques jours à La Havane accueillir une amie et écouter le concert des Rolling stones. J’en ai donc profité pour demander à un chauffeur de taxi de m’indiquer un lieu propice à la pêche. Il m’a déposé au phare, à une vingtaine de kilomètres de la ville et m’a promis de venir m’y chercher vers 8h, à la tombée de la nuit.  

Le lieu est le territoire à peu près exclusif des crabes de mangrove. Ils sont en quantité absurde, presque surnaturelle. La route elle-même semble onduler sous leur danse mécanique, hérissée de pinces. Quand d’aventure un camion passe, il en écrase par centaine. Parfois il en coupe un par le milieu, laissant une pince solitaire télégraphier des messages de détresse tardifs à ses congénères qui n’en ont cure et qui se précipitent en masse hors de la mangrove pour boire à même le bitume brûlant le jus des carcasses fraichement broyées. Le camion suivant les écrase, épaississant un peu plus la croute momifiée qui surélève la chaussée, et attirant par la même d’autres crabes, dans une sorte de mouvement perpétuel qui ne semble pouvoir se terminer que par la fin des crabes. Sauf que cela est impossible. Une discothèque solitaire observe la scène depuis une petite colline en face du phare. Les murs roses et blancs, les petites colonnes du balcon, sont couverts de crabes comme une charogne de mouches. Ils en escaladent sans difficulté les parois pour se blottir par dizaine à l’ombre du moindre relief architectural.

Quant à la pêche, je n’ai bien sûr pas vu le moindre barracuda. Un tour sous l’eau m’a confirmé que les poissons habitant la zone font au mieux la taille de mes leurres, généralement moins.

Et bien sûr le taxi n’est pas venu.

J’ai rejoint à pied la petite station balnéaire de Rancho Luna à trois kilomètres, presque à tâtons et la démarche alourdie par les crabes qui se saisissaient de mes lacets au passage. Elle était déserte. Un ivrogne me fit promettre de venir un jour goûter dans son restaurant sa spécialité de crabe, en échange de quoi il me montra où s’arrêtait la « guagua de los trabajadores », le bus qui vers 9h et demi viendrait ramasser le personnel de la station balnéaire et, après quelques détours, me ramènerait à Cienfuegos.

Une dame sortie de la nuit me dit que, la journée, elle propose des massages aux touristes, me demande si ça m’intéresse et m’explique que le bus va d’abord passer dans la direction opposé déposer des gens dans une bourgade au bout de la route. Elle me conseille de monter dedans dès ce premier passage pour être sûr de pouvoir entrer. Peu de temps après passe semi-remorque poussif perché sur deux rangées de roues de tracteur. Hormis une pensée pour les crabes, je n’y prête pas attention. Le camion ralenti, la masseuse m’appelle : c’est le bus. Une porte taillée sur le flanc s’ouvre et laisse apparaître des ventres, des cuisses et des bras comprimés. La masseuse pousse cette entité avec le dos pour me permettre de monter. La porte ne ferme plus ? J’ai qu’à la tenir.

Le visage écrasé contre le métal vibrant de la remorque, j’ai l’impression d’être le héros d’un de ces mauvais films mexicains où un bourgeois se retrouve à devoir partager pendant quelques jours la vie des pauvres. J’en retire d’ailleurs le même cliché : que ces pauvres sont joyeux, comme ils rigolent plus que les touristes sur la plage. Arrivé aux trois maisons qui séparent la fin de la route de la lagune, l’assistant du chauffeur annonce qu’ils vont manger un morceau et qu’on peut boire un coup pour patienter. Il donne la main au gens pour les aider à descendre, la plupart lui font la bise et échangent des blagues que je ne comprends pas. J’en profite pour payer le trajet : 1 peso cubano. Pour venir à la plage, le touriste paie en taxi 10 pesos convertibles, soit 250 fois plus. Pensée stérile, mais tout de même.

J'ai rejoint ma chambre à minuit. Demain, si tout se passe bien, je vais assister à une séance de transe collective sous un fromager, dans une plantation de manguiers et de cannes à sucre, avec des adeptes du Palo Monte, le culte initiatique afro-cubain sur lequel je ferai peut-être un reportage BD.  

3 commentaires:

  1. Oui un reportage sur le Palo Monte. Le woodstar le demande ! Merci. Laurent.

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  2. C'est chouette l'apparition de textes tous nus.
    Fais-nous profiter, ça nous fait rager et on te déteste de loin mais on t'aime quand même.
    Sache qu'ici il n'y a pas de crabes par milliers sur les routes mais que jeudi de jeunes étudiantes sortiront dans la rue par centaines pour agiter leur indignation et leurs pancartes. Je dis ça je dis rien. Bisous

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  3. Bravo pour la description de tes aventures, continue, on en redemande!

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